En 1944, Fritz Heider et Marianne Simmel publient dans le American Journal of Psychology le compte rendu d’une expérience dans laquelle ils ont projeté à des femmes un film d’animation de deux minute et demi. Le film montre des figures géométriques se déplaçant dans un espace. Elles sont au nombre de trois : un grand triangle, un petit triangle et un cercle de la même taille. Le film commence avec le grand triangle à l’intérieur d’un rectangle dont un des coté s’ouvre. Le grand triangle sort et le petit triangle et le petit cercle apparaissent à l’écran. Différentes actions sont alors engagées.
Le film est montré à trois groupes distincts. Dans le premier groupe (n=34), les femmes doivent décrire ce qu’elle ont vu. Dans le second groupe (n=36), elle doivent interpréter les actions comme si elles étaient réalisées par des personnes. Enfin, dans le dernier groupe (n=44), le film était diffusé à l’envers.
Une seule femme du premier groupe ne répond pas en termes anthropomorphiques. Spontanément, tous les sujets font comme si les triangles et le cercle étaient des personnes et bâtissent des histoires à propos de leurs relations. Le grand triangle est généralement perçu comme “querelleur”, “agressif” tandis que le petit triangle est “courageux”, “pugnace”. Le cercle est plutôt “timide”. L’histoire élaborée est une histoire prenant en compte la différence sexuelle : les deux triangles sont des hommes et le cercle est une femme. Parfois, le récit prend également en compte la différence des génération : des parents se disputent pour/à cause d’un petit.
Le mécanisme sous-jacent est la projection, et il est utilisé dans des test par des psychologues cliniciens depuis la méthode des associations mise au point par Karl Gustav Jung et la mise en place par Hermann Rorschach de son fameux test des taches d’encre. La projection est le mécanisme psychologique par lequel nous attribuons des pensées, des émotions, des désirs à d’autres personnes ou à des choses. C’est un mécanisme qui mêle des éléments personnels aux frayages proposés par la culture. Dans notre exemple, les aspects masculins sont appelés par les pointes du triangle qui donne des aspects de pénétrance, tandis que l’aspect féminin/enfantin est attribué au cercle
Les psychologues disposent aujourd’hui de nombreux tests basés sur la projection. Dans tous les cas, il est demandé au sujet de mêler la perception du test à des éléments personnels pour produire une image on un récit. Certains test présentent un matériel déjà très structuré tandis que d’autres laissent plus de place au travail de l’imagination. Dans ces épreuves, les thématiques projetées, la force de la projection, les défenses sollicitées ainsi que leur efficacité donnent des éléments sur le fonctionnement conscient et inconscient de la personne. Ces épreuves sont très utiles car elles permettent également de médiatiser la relation : le psychologue et la personne rencontrée disposent d’un objet qui est perçu comme un entre-deux : il appartient au psychologue et la personne est d’accord pour l’utiliser, c’est à dire pour s’y découvrir.
Les dispositifs numériques offrent de telles médiations. Il est par exemple possible de parler des jeux vidéos pour mieux comprendre avec la personne comment elle s’en sert comme espace de projection. Mais pour l’instant il n’existe par de dispositif numérique qui soit un médiateur comparable à celui d’une épreuve projective. Cela serait pourtant simple à réaliser en s’inspirant de l’expérience de Heider et Simmel. L’épreuve consistera alors à donner les deux triangles, le cercle et le rectangle à jouer. Le jeu peut-être totalement libre ou le psychothérapeute peut donner des scènes scriptées à jouer. Le psychothérapeute sera alors attentif çà ce qui est produit à l’écran, mais également à ce que que la la personne en dit et les émotions exprimées. Les objets seront déplaçables avec une inertie particulière pour chacun d’entre eux. On pourra les lancer au loin, les faire rebondir sur les parois de l’écran, ou contre d’autres objets.
Le dispositif numérique a des avantages précieux par rapport aux épreuves projectives que l’on connait jusqu’à présent.
- Il permet l’animation qui est un appel à la projection auquel il est difficile de résister.
- Il garde en mémoire les interactions produites. Cela permet de revenir avec la personne sur ce qui a été fait, et d’en discuter avec elle pour avoir davantage de précisions.
- L’archivage des différents jeux est également précieux du point de vue de la recherche. Il permet de constituer un corpus et de l’échanger avec d’autres chercheurs en anonymisant les données