lundi 27 décembre 2010

Des triangles et un cercle

 

 

En 1944, Fritz Heider et Marianne Simmel publient dans le American Journal of Psychology le compte rendu d’une expérience dans laquelle ils ont  projeté à des femmes un film d’animation de deux minute et demi. Le film montre des figures géométriques se déplaçant dans un espace. Elles sont au nombre de trois : un grand triangle, un petit triangle et un cercle de la même taille.  Le film commence avec le grand triangle à l’intérieur d’un rectangle dont un des coté s’ouvre. Le grand triangle sort et le petit triangle et le petit cercle apparaissent à l’écran. Différentes actions sont alors engagées.

Le film est montré à trois groupes distincts. Dans le premier groupe (n=34), les femmes doivent décrire ce qu’elle ont vu. Dans le second groupe (n=36), elle doivent interpréter les actions comme si elles étaient réalisées par des personnes. Enfin, dans le dernier groupe (n=44), le film était diffusé à l’envers.

Une seule femme du premier groupe ne répond pas en termes anthropomorphiques. Spontanément, tous les sujets font comme si les triangles et le cercle étaient des personnes et bâtissent des histoires à propos de leurs relations. Le grand triangle est  généralement perçu comme “querelleur”, “agressif” tandis que le petit triangle est “courageux”, “pugnace”. Le cercle est plutôt “timide”. L’histoire élaborée est une histoire prenant en compte la différence sexuelle : les deux triangles sont des hommes et le cercle est une femme.  Parfois, le récit prend également en compte la différence des génération : des parents se disputent pour/à cause d’un petit.

Le mécanisme sous-jacent est la projection, et il est utilisé dans des test par des psychologues cliniciens depuis la méthode des associations mise au point par Karl Gustav Jung et la mise en place par Hermann Rorschach de son fameux test des taches d’encre. La projection est le mécanisme psychologique par lequel nous attribuons des pensées, des émotions, des désirs à d’autres personnes ou à des choses. C’est un mécanisme qui mêle des éléments personnels aux frayages proposés par la culture. Dans notre exemple, les aspects masculins sont appelés par les pointes du triangle qui donne des aspects de pénétrance, tandis que l’aspect féminin/enfantin est attribué au cercle

Les psychologues disposent aujourd’hui de nombreux tests basés sur la projection. Dans tous les cas, il est demandé au sujet de mêler la perception du test à des éléments personnels pour produire une image on un récit. Certains test présentent un matériel déjà très structuré tandis que d’autres laissent plus de place au travail de l’imagination. Dans ces épreuves, les thématiques projetées, la force de la projection, les défenses sollicitées ainsi que leur efficacité donnent des éléments sur le fonctionnement conscient et inconscient de la personne. Ces épreuves sont très utiles car elles permettent également de médiatiser la relation : le psychologue et la personne rencontrée disposent d’un objet qui est perçu comme un entre-deux : il appartient au psychologue et la personne est d’accord pour l’utiliser, c’est à dire pour s’y découvrir.

 

Les dispositifs numériques offrent de telles médiations. Il est par exemple possible de parler des jeux vidéos pour mieux comprendre avec la personne comment elle s’en sert comme espace de projection. Mais pour l’instant il n’existe par de dispositif numérique qui soit un médiateur comparable à celui d’une épreuve projective. Cela serait pourtant simple à réaliser en s’inspirant de l’expérience de Heider et Simmel. L’épreuve consistera alors à donner les deux triangles, le cercle et le rectangle à jouer. Le jeu peut-être totalement libre ou le psychothérapeute peut donner des scènes scriptées à jouer. Le psychothérapeute sera alors attentif çà ce qui est produit à l’écran, mais également à ce que que la la personne en dit et les émotions exprimées. Les objets seront déplaçables avec une inertie particulière pour chacun d’entre eux. On pourra les lancer au loin, les faire rebondir sur les parois de l’écran, ou contre d’autres objets.

Le dispositif numérique a des avantages précieux par rapport aux épreuves projectives que l’on connait jusqu’à présent.

- Il permet l’animation qui est un appel à la projection auquel il est difficile de résister.

- Il garde en mémoire les interactions produites. Cela permet de revenir avec la personne sur ce qui a été fait, et d’en discuter avec elle pour avoir davantage de précisions.

- L’archivage des différents jeux est également précieux du point de vue de la recherche. Il permet de constituer un corpus et de l’échanger avec d’autres chercheurs en anonymisant les données

dimanche 26 décembre 2010

Des médiations numériques pour la psychologie

Les psychologues et les pédagogues ont toujours utilisé les objets que la culture leur tendait. Dans les années 1970-1980, l’essor de l’informatique personnelle a amené dans les bureaux de quelques collègues des machines comme l’Oric ou le CPC d’Amstrad.

Malgré les services qu’elles pouvaient rendre, ces machines restaient d’une utilisation difficile. Elle étaient par ailleurs relativement rares et chères. La situation est aujourd’hui différente. L’ordinateur est devenu un omni-objet : il n’est plus possible de ne pas le rencontrer sous une forme ou sous une autre, dans les espaces privés comme dans les espaces publics.

Il est pourtant un espace ou il se fait encore rare : c’est le cabinet du psychothérapeute. Pourtant, ces objets sont souvent à portée de main. D’abord littéralement. Il n’est pas rare que thérapeute et patient aient tous les deux en poche une téléphone portable. Ensuite, ils sont dans les espaces imaginaires et symboliques des protagonistes dont ils encombrent ou facilitent les relations

Lorsque je travaille ou que je joue, j’ai souvent des idées sur des applications qui pourraient être utilisées en psychologie. Les objets numériques sont en effet des objets attracteurs pour la psyché de par leurs qualités : ils gardent en mémoire, il permettent de faire et refaire à l’identique, ils permettent l’effacement. Chacune de ces opérations est plus moins moins sollicitée par la personne qui utilise le dispositif en fonction de son état psychique du moment.

Pour l’instant, les dispositifs que j’utilise ne sont pas conçus pour la psychologie clinique ou la psychothérapie. Ce sont des objets commerciaux, et ils embarquent par là même des logiques et des dynamiques qui encombrent la relation clinique.

Pourquoi ne pas imaginer des applications qui seraient faites pour le psychologue ? Pourquoi ne pas utiliser des applications qui auraient été pensées dès le départ pour le psychologue ? Pourquoi ne pas produire de telles applications ?

Techniquement, elles ne sont pas compliquées à fabriquer.

Bien sur, il y a la question du marché. Il y a 30.000 psychologues en France, et l’on peut considérer que c’est un marché de niche. Il faut prendre ici au moins deux plans différents. Le premier est la dynamique des applications : être le premier donne un avantage qui n’est jamais comblé. Le second est qu’il est facile de ne pas se cantonner au marché français. Les besoins des psychologues sont identiques qu’ils soient français ou américains. Ou qu’il se trouve, un psychologue rencontre les même questions . Ou qu’il se trouve, un psychologue utilise des outils standardisés.

Les outils standardisés des psychologues de demain cet après-midi seront numériques.